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L’expérimentation animale doit être utile, mais comment ?

«Personne ne veut d’expériences superflues ou inutiles sur les animaux. Mais les avis divergent sur ce qui est nécessaire et utile», explique Servan Grüninger dans une tribune publiée sur le site «Tierversuche verstehen». Servan Grüninger est biostatisticien, président de «reatch – research and technology in switzerland», un jeune groupe de réflexion scientifique qui entend renforcer les relations entre les sciences et d’autres parties de la société, et membre du Comité de la Basel Declaration Society, qui s’engage pour la mise en œuvre de principes éthiques en biomédecine.

Commentaire invité sur Tierversuche verstehen - Eine Informationsinitiative der Wissenschaft:

Pour faire de la recherche sur des animaux, il faut avoir de bonnes raisons. Il est inacceptable de faire souffrir un animal si cela ne permet pas d’obtenir de nouvelles connaissances pour l’être humain ou l’animal. La loi allemande sur la protection des animaux autorise l’expérimentation animale uniquement si elle est indispensable pour certains objectifs comme la recherche fondamentale ou la lutte contre une maladie (§ 7a, al. 1 de la loi allemande sur la protection des animaux TierSchG), et elle interdit totalement l’expérimentation animale pour d’autres applications comme le développement d’armes ou de cosmétiques (§7a, al. 3 & 4 TierSchG).

En Suisse également, une expérience sur animaux est illicite «lorsque les douleurs, les maux, les dommages ou l’état d’anxiété causés à l’animal sont disproportionnés par rapport au bénéfice escompté en termes de connaissances» (art. 19, al. 4 LPA).

À quoi sert la recherche fondamentale?

Jusqu’ici, tout le monde est certainement d’accord, aussi bien les chercheurs que les personnes qui critiquent l’expérimentation animale. Les choses se compliquent dès lors qu’il s’agit de trouver une définition commune de la notion de «bénéfice». Pour la plupart des gens, une expérience apporte un bénéfice si elle débouche directement sur le développement d’une application (médicale). En revanche, de nombreuses personnes estiment que la recherche de nouvelles connaissances fondamentales ne justifie pas d’effectuer des expériences sur des animaux.

Les opposants à l’expérimentation animale attisent activement ces réticences. Si autrefois, ils s’attaquaient surtout à l’industrie pharmaceutique, ils ont depuis quelques années la recherche fondamentale des universités en point de mire et s’attaquent aux chercheurs dans de vastes campagnes dans les médias traditionnels et nouveaux. Le reproche qu’ils formulent est que les chercheurs ne font que «satisfaire leur curiosité intellectuelle» et n’apportent aucun bénéfice à l’être humain ou à l’animal.

Une telle attitude trahit une méconnaissance de la recherche et de son fonctionnement. La science est trop souvent considérée comme une sorte de «machine à résoudre les problèmes», universelle, avec à la clé l’attente que cette machine produise en permanence et sans délai des réponses à toutes les questions que nous y enfournons. Qu’elle résolve les problèmes à la chaîne, en quelque sorte.

Ne pas confondre mesurable et utile

Si la chaîne ne crache pas de produit utilisable, certains sont prompts à parler d’un échec de la science. Ils oublient ce faisant que toute production à la chaîne commence par un prototype. Et pour pouvoir construire ce prototype, il faut d’abord avoir les connaissances nécessaires et les outils adéquats.

La distinction entre expériences «proches de la pratique» et expériences «de recherche fondamentale» est donc artificielle, en particulier lorsqu’il s’agit d’en évaluer l’utilité. Il n’est pas logique de considérer le développement d’un traitement qui sauve la vie des patients atteints du VIH/sida comme plus utile que les nombreuses expériences qui ont fourni les bases au développement de ce traitement.

Ce n’est pas parce que le succès d’une expérience proche de la pratique est plus facile à mesurer que l’utilité d’expériences de recherche fondamentale qu’il faut commettre l’erreur fatale d’accorder moins d’importance à la recherche fondamentale. Ce n’est souvent qu’a posteriori et avec plusieurs années de recul vis-à-vis de la découverte que leur utilité peut être entièrement évaluée.

Le bénéfice de la «curiosité intellectuelle»

La découverte des cellules souches a été réalisée dans les années 1960 grâce à des expériences sur la souris. Ce n’est que des années et des dizaines d’années plus tard que la valeur des premières expériences sur les cellules souches est apparue, lorsque la suite de la recherche et l’accumulation de connaissances sur les caractéristiques biologiques de ces cellules ont fourni les bases permettant, par exemple, de réaliser des greffes de moelle osseuse ou de développer de nouveaux traitements contre des maladies neurologiques, le diabète ou des maladies de cœur.

Près d’un demi-siècle s’est écoulé entre la découverte des cellules souches en 1963 et les essais et applications cliniques d’aujourd’hui. D’autres connaissances médicales et nouveautés technologiques sont venues s’ajouter pendant ce temps et ont permis de nouvelles applications. Qui aurait pu prédire cette évolution lors de l’évaluation éthique des premières expériences sur la souris?

La même question se pose à propos d’un exemple tiré de la recherche sur le cerveau. Dans les années 20 et 30 du siècle dernier, des chercheurs ont pu démontrer à l’aide d’expériences sur la grenouille et le chat que les signaux du cerveau sont transmis non seulement par des voies électriques, mais aussi chimiques, ce que l’on appelle des neurotransmetteurs. Là encore, il s’agissait de pure recherche fondamentale qui ne devait déployer tout son potentiel que des années plus tard. C’est ainsi que des scientifiques ont découvert que nombre de maladies psychiques et neurologiques s’accompagnent d’une dérégulation de certains neurotransmetteurs et ont développé des médicaments agissant à ce niveau.

La science en tant que colonie de fourmis

Bien sûr, toute expérience n’a pas autant d’impact que ces exemples. Si l’on observe une expérience de recherche fondamentale isolément, force est de constater qu’elle n’apporte, en règle générale, qu’un tout petit progrès dans les connaissances. Pourrait-on par conséquent renoncer à la plupart des expériences?

Certainement pas, car la science est plus que la somme de ses parties. Elle ressemble plus à une fourmilière: si on enlève une fourmi, l’effet sur le fonctionnement de la colonie est négligeable. Mais pouvons-nous en conclure que le travail d’une fourmi est en soi «inutile»? Bien sûr que non. En effet, l’utilité de la fourmi ne peut pas être observée isolément, mais uniquement en considérant le travail collectif de toutes les fourmis. Les interactions des fourmis au sein de leur colonie leur permettent de réaliser collectivement des travaux que chaque fourmi serait incapable de fournir individuellement.

La recherche scientifique fonctionne sur la base d’interactions similaires. Si nous observons chaque expérience scientifique individuellement, nombre d’entre elles peuvent nous sembler inutiles ou superflues. Mais rares sont ceux qui affirmeraient que l’ensemble des expériences, c’est-à-dire la recherche considérée globalement, n’a aucune utilité. Ensemble, les chercheurs accomplissent ce qui serait impossible à un ou une scientifique isolé-e: ils débroussaillent des zones de connaissances nouvelles et étendent notre compréhension du monde.

Mais en recherche fondamentale, il est très difficile d’évaluer quelles connaissances déboucheront ou non sur une application. Inversement, il devrait être clair qu’une application est impossible sans bases. Le problème qui se pose à nous est donc que nous devrions presque toujours rejeter une expérience sur animaux prise individuellement, mais approuver la somme des expériences réalisées en recherche fondamentale.

Nous ne pouvons résoudre ce dilemme que si nous séparons la question du bénéfice de l’expérimentation animale de celle du bénéfice de la recherche fondamentale. Nous pouvons ainsi commencer par discuter si et dans quelle mesure la recherche fondamentale est utile à notre société, pour ensuite élucider si et dans quelle mesure l’expérimentation animale est utile à la recherche fondamentale. Lorsque les opposants à l’expérimentation animale demandent quel est le «bénéfice pour la société» d’une expérience isolée, ils mélangent ces deux niveaux. Il est alors impossible de donner une réponse sérieuse.

L’expérimentation animale est utile à la recherche ; la recherche est utile à la médecine ; la médecine est utile à l’être humain

Pour discuter le bénéfice de l’expérimentation animale pour la recherche fondamentale, nous devons d’abord savoir si la recherche fondamentale dans son ensemble apporte un bénéfice à la société. On peut de manière générale répondre oui. De même que les fourmis «éclaireuses» d’une colonie ont une utilité pour la collectivité car elles vont découvrir des territoires inconnus et y rechercher de nouvelles sources de nourriture et de matières premières, les chercheurs pratiquant la recherche fondamentale remplissent leur mission scientifique en se penchant sur des questions non résolues et en apportant de nouvelles idées et approches pouvant servir de bases aux applications médicales.

En effet, il faut bien comprendre que dans de nombreux domaines, la recherche biomédicale en est encore à ses balbutiements. Tel est le cas en particulier de la recherche sur le cerveau. Le cerveau humain nous pose encore bien des mystères pour lesquels la réponse semble encore très éloignée. Il ne faut donc surtout pas croire que nous ayons toutes les bases dont nous avons besoin et que nous puissions directement nous mettre à développer des traitements. Bien au contraire: les fourmis éclaireuses de la science sont encore à la recherche de matériel de construction adéquat pour vaincre la maladie d’Alzheimer, la schizophrénie ou la sclérose en plaques.

Si nous aboutissons à la conclusion que la recherche fondamentale est utile à l’être humain car elle apporte les bases dont nous avons besoin pour des traitements, nous devons ensuite vérifier si les expériences sur animaux apportent un bénéfice scientifique avéré dans le cadre de la recherche fondamentale. Là encore, la réponse est généralement positive.

Ceux qui arguent que ces bases pourraient aussi être fournies en utilisant uniquement des cultures cellulaires, des organoïdes et des simulations informatiques se trompent. Si nous voulons comprendre les fondements biologiques de maladies psychiques complexes comme la schizophrénie, la dépression ou la démence, nous devons d’abord comprendre comment fonctionne le cerveau. Les cultures cellulaires et les modèles informatiques sont de précieux auxiliaires, mais ils ne peuvent jusqu’à nouvel ordre pas remplacer l’étude d’organismes vivants.

Pas de chèque en blanc pour la recherche

Cela ne veut pas dire que la recherche fondamentale puisse se reposer sur ses lauriers. En effet, la science dans son ensemble et l’expérimentation animale en particulier souffrent d’un trop grand nombre d’études dont la qualité et la pertinence sont médiocres.

Donc si nous voulons continuer à garantir que l’expérimentation animale apporte un bénéfice scientifique, nous devons veiller à ce qu’elle soit réalisée selon les normes scientifiques les plus rigoureuses.

C’est ainsi qu’il faut améliorer la formation des membres des organes de surveillance et des commissions d’éthique, ainsi que des chercheurs. Nous avons besoin non seulement d’expert-e-s dans le domaine des animaux de laboratoire, de l’éthique et de la protection des animaux, mais aussi en statistique et médecine humaine. En effet, un design statistique solide de l’étude, la reproductibilité des résultats et la possibilité de principe de leur extrapolation à l’être humain sont des critères au moins aussi importants que les aspects de médecine vétérinaire et d’éthique.

Quiconque n’est pas au point en matière de design d’étude solide, de biais expérimentaux et statistiques et des différentes formes de validité scientifique, ne devrait pas avoir le droit de réaliser des expériences sur animaux, au même titre qu’une personne qui n’a pas de bonnes connaissances sur les indicateurs de souffrance des animaux ou la pesée éthique des intérêts. Tout ceci est indispensable pour assurer que les modèles animaux restent à l’avenir les garants de nouvelles découvertes scientifiques.

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Servan Grüninger ist Mitgründer und Präsident von Reatch. Er hat sein Studium mit Politikwissenschaften und Recht begonnen und mit Biostatistik und Computational Science abgeschlossen. Zurzeit doktoriert er am Institut für Mathematik der Universität Zürich in Biostatistik. Weitere Informationen: www.servangrueninger.ch.

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