L’être humain passe avant l’animal, telle est la position qui prévaut dans notre société. Si notre maison brûle, nous sauvons d’abord les habitants à deux pattes avant de penser au chien et au chat. Toute autre attitude serait difficilement justifiable du point de vue éthique et surtout humain.
Cependant, on peut se demander à quel point nos intérêts doivent passer avant ceux des animaux. Est-il légitime de manger de l’escalope de porc? D’exterminer les insectes nuisibles? De faire euthanasier un chien qui a mordu un enfant?
Chacun et chacune d’entre nous répond différemment à ces questions. Les uns sont prêts à faire souffrir des animaux pour leur distraction personnelle (corrida), d’autres pensent que, dans certains cas, le droit à la vie de l’animal est prépondérant par rapport à celui de l’être humain.
Le dilemme de l’expérimentation animale
Lorsqu’il est question de l’utilisation d’animaux dans la recherche, les choses se compliquent encore plus. À n’en pas douter, les expériences sur animaux sont un élément fondamental de la médecine moderne. Elles apportent une contribution importante au développement de nouveaux traitements. Mais l’expérimentation animale est-elle pour autant acceptable?
En effet, toute expérience sur animaux n’aboutit pas au développement d’un médicament qui va sauver des vies. Et renoncer aux expériences sur animaux n’est pas forcément dommageable pour l’être humain, bien au contraire: dans certains cas, les méthodes de substitution sont plus fiables que l’expérimentation animale.
L’expérimentation animale nous pose donc un dilemme fondamental: d’un côté, nous ne voulons pas faire souffrir les animaux. De l’autre, nous voulons bénéficier des découvertes biomédicales et venir en aide aux malades.
Une question de point de vue
Les faits à eux seuls ne suffisent pas pour savoir si nous devons être pour ou contre l’expérimentation animale, d’autant moins que celle-ci n’est pas un bloc uniforme. Chaque expérience pose des questions, cherche à atteindre des buts, ou applique une méthodologie différente.
De même, du point de vue éthique, il n’y a pas une bonne conclusion unique. Ainsi est-il légitime de revendiquer de renoncer à l’expérimentation animale si nous sommes convaincus qu’un bénéfice biomédical, aussi grand soit-il, ne saurait justifier l’utilisation d’animaux pour la recherche.
Mais sous d’autres points de vue moraux, nous pouvons aussi bien aboutir à la conclusion que le besoin que nous avons de nouveaux traitements est prépondérant par rapport aux préjudices portés aux intérêts des animaux et justifie donc facilement l’expérimentation animale.
Attention aux questions ambiguës
Vu la complexité scientifique et philosophique de la thématique, il n’est pas étonnant que le débat sur l’expérimentation animale puisse avoir lieu sur des plans très différents. C’est ainsi qu’une question apparemment bien innocente comme «Pourquoi pratiquons-nous la recherche sur des animaux?» se compose d’au moins trois questions partielles qui se situent à différents niveaux d’argumentation.
Premièrement, il faut se demander pourquoi nous pratiquons la recherche. Quels doivent être les objectifs de la recherche biomédicale? Quels bénéfices doit-elle apporter?
Ensuite, il s’agit de la question de savoir pourquoi nous avons recours à l’expérimentation animale pour atteindre ces objectifs. Pour discuter le pour et le contre de l’expérimentation animale, il faut aussi parler du rôle qu’elle tient dans la recherche scientifique. Que nous apprennent les expériences sur animaux et que ne nous pouvons pas apprendre par les simulations informatiques, les cultures cellulaires ou les expériences sur l’être humain?
Enfin, nous devons aussi expliquer pourquoi nous réalisons certaines expériences uniquement chez l’animal et non chez l’être humain. Dans quelle mesure accordons-nous un poids différent aux intérêts des animaux et des humains?
Questions scientifiques et philosophiques
Pour décider si l’expérimentation animale est acceptable ou non, nous devons observer aussi bien les faits scientifiques que les valeurs morales.
Le jugement porté sur l’expérimentation animale dépend d’une part de son utilité pour obtenir de nouvelles connaissances biomédicales et du degré de contrainte pour les animaux. Il s’agit là de questions scientifiques.
D’autre part, nous devons discuter quels doivent être les objectifs de la recherche biomédicale, quelle importance revêtent pour nous les nouveaux traitements et quel poids nous donnons aux intérêts des animaux par rapport à ceux des humains. Il s’agit là de questions philosophiques.
Il n’y a pas de réponses simples
Or, dans le débat sur l’expérimentation animale, ces deux niveaux sont sans arrêt mélangés. Les opposants à l’expérimentation animale s’efforcent souvent de remettre en doute le bénéfice de l’expérimentation animale, car sans bénéfice, pas de dilemme. Ce faisant, ils nient non seulement les faits scientifiques, mais font aussi l’impasse sur une partie essentielle de la pesée éthique des intérêts.
Inversement, les chercheurs ont tendance à reprocher aux opposants à l’expérimentation animale de ne rien comprendre à la science. Ce faisant, ils ferment les yeux sur le fait que même en étant parfaitement informé des faits scientifiques, on peut avoir de bonnes raisons morales d’être contre l’expérimentation animale.
En bref, ceux qui disent que les expériences sur animaux ne servent à rien ne connaissent rien à la médecine et à la science. Et ceux qui disent qu’il n’y a pas d’alternative à l’expérimentation animale ne comprennent rien à la philosophie.
Des discussions ciblées au lieu de blocages
Le débat sur l’expérimentation animale doit s’éloigner de la caricature, des points de vue sectaires et des accusations mutuelles. Si nous menons un débat de fond, faisons-le correctement: avec l’objectivité requise, suffisamment d’ouverture d’esprit et en respectant la complexité de la thématique.
Ainsi, nous comprendrons vite que ni un refus catégorique, ni une acceptation en bloc de l’expérimentation animale n’est satisfaisante. Au lieu de demander «Avons-nous le droit de faire ça?», nous devrions plutôt discuter dans quelles conditions nous en avons le droit. En effet, le dilemme de l’expérimentation animale est véritable, complexe et il va persister. L’accepter serait le premier pas vers un débat plus constructif.
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