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Politique climatique : Un contournement des problèmes bien vendu ?

L'année dernière, les décisions en matière de politique climatique se sont succédées. Malgré cela, les objectifs climatiques risquent d'être largement manqués. Ce qui semble surprenant à première vue ne l'est pas en réalité. Car jusqu'à présent, nous ne nous sommes pas vraiment posé la question cruciale de la politique climatique.

Cet article a été rédigé dans le cadre de l'académie d'été «Nachhaltigkeit – People, Planet and Profit unter verschiedenen Gesichtspunkten» de la Fondation suisse d'études et a bénéficié du soutien rédactionnel de Reatch.

L'un des étés les plus chauds depuis le début des relevés météorologiques est en train de s'écouler [1]. Plusieurs ouragans violents ont dévasté des îles des Caraïbes [2]. La destruction de la forêt tropicale en Amazonie a presque quadruplé par rapport à l'année précédente [3]. Au vu de ces éléments, il n'est pas étonnant que la durabilité écologique fasse de plus en plus partie de la conscience sociale. Sur le plan politique, la durabilité est également devenu un sujet brûlant, poussé par les multiples manifestations sur le climat. Presque tous les partis se disputent les faveurs de l'électorat, avec leur concept de protection de l'environnement. En bref : nier que le comportement humain actuel a un impact sur l'environnement et le climat, c'est visiblement se mettre en marge de la société et de la politique. Malgré cette prise de conscience, les objectifs climatiques et environnementaux risquent de ne pas être atteints. L'objectif des deux degrés adopté par la communauté internationale est, actuellement, plus une idée directrice qu'un objectif en cours de réalisation.

Les progrès techniques ne manquent pas

Ce ne sont pas les innovations et les idées qui manquent. En l'espace de quelques décennies, une multitude de nouvelles technologies sont arrivées à maturité sur le marché, et sont nettement plus économes en ressources que les précédentes. Si une limousine consommant de l'essence était autrefois symbole de statut social, c'est aujourd'hui la Tesla qui dispose de cette image. Que ce soit en matière de technologie des moteurs, de technologie des matériaux ou de production d'énergie, la recherche et l'industrie ont partout réalisé des progrès considérables pour économiser les ressources. Mais réduire l’impact sur l’environnement ne passe pas seulement par la haute technologie. Acheter des produits de saison et régionaux, recycler, aller au travail à vélo plutôt qu'en voiture, etc. De nombreux comportements qui étaient autrefois réservés à une niche sont aujourd'hui (à nouveau) devenus la norme pour une grande partie de la population. En parallèle, beaucoup de choses ont changé sur le plan politique. La surface forestière en Suisse augmente depuis des décennies [4]. La pollution de l'air diminue dans notre pays [5], et l’on peut aujourd'hui se baigner dans la grande majorité des cours d'eau, sans craindre de conséquences pour la santé [6]. Tout cela est le fruit d'efforts considérables en matière de protection de l'environnement.

Mais aujourd’hui, la coordination de tous ces efforts en un ensemble viable est plus lente et plus laborieuse. Exploiter une liaison ferroviaire traversant plus de deux frontières nationales en Europe ? Une tâche herculéenne... Les différentes largeurs de rails, les intensités de courant et les systèmes de contrôle sont autant d'obstacles techniques qui rendent la tâche ardue. Le manque de transversalité entre les mesures nationales et internationales de protection du climat entraîne inévitablement des inefficacités. Cependant, dans ce domaine aussi, les choses évoluent de plus en plus vers la durabilité. Plusieurs grands groupes étudient systématiquement l'impact environnemental de leur chaîne d'approvisionnement, en incluant les fournisseurs, afin d’identifier les plus grands secteurs potentiels d'économie [7]. Les progrès révolutionnaires dans le domaine des technologies de l'information permettent de plus en plus d'organiser les processus de manière plus efficace et coordonnée. Si, par exemple, tous les véhicules circulant sur nos routes étaient déjà coordonnés, les embouteillages et la pollution appartiendraient, en grande partie, au passé.

Le problème de fond reste inchangé

Cependant, ni le progrès technique ni le renforcement des efforts de coordination n'ont permis d'éliminer la cause du changement climatique et des problèmes environnementaux. Au contraire, celui-ci continue de s’accélérer. Il s’agit de la consommation. Jusqu'à présent, elle a pondéré tout les gains d'efficacité technologique. Certes, une voiture électrique est plus durable qu'un SUV. Cependant, la production implique toujours une consommation d'acier, de caoutchouc, de cuir, de métal, et libère des gaz à effet de serre. Se tourner vers la nourriture bio régionale et saisonnière permet de compenser l’achat d’articles de mode. Pourtant, dans le même temps, le prochain achat de téléphone portable, de sac en plastique ou de vêtement est déjà prévu. Même pour lire cet article, vous avez, cher(e) lecteur(trice), contribué au changement climatique. Pour vous permettre d'accéder en toute fiabilité à vos sites web, vidéos et photos 24 heures sur 24, les centres de données du monde entier consomment de l'électricité en permanence. L'humanité consomme ainsi plus de ressources que ce que la planète peut supporter [8].

La méthodologie de ces estimations est certes controversée. Mais que l'humanité consomme les ressources nécessaires à deux, trois, quatre ou cinq Terres ne change rien au constat de base : nous vivons au-dessus de nos moyens. Cela ne signifie pas que l'innovation scientifique est insignifiante. Mais celle-ci n'est pas encore suffisante pour réduire l'impact de la consommation humaine. Et il est très incertain qu'elle soit en mesure de le faire à l'avenir.

C'est pourquoi la durabilité environnementale est un défi si important pour les sociétés. Pas à cause de la résistance des groupes d'intérêts, pas à cause de l'innovation, ni de la coordination nécessaires. Bien qu’il s'agisse là d'obstacles considérables. Le monde ultramoderne et complexe dans lequel nous vivons, montre que l'être humain est capable de fournir des efforts considérables en matière d'innovation et de coordination, même face à des résistances. Seulement, parvenir à une société écologiquement durable exige davantage d’efforts. Elle implique une réflexion sur le mode de vie actuel. Et probablement dans une mesure dont nous n'avons pas encore conscience en tant que société. Que ce soit sur le plan économique, politique ou social : des questions fondamentales se poseront sur la manière dont nous voulons vivre ensemble, sur une base locale, régionale, nationale, mais aussi mondiale. Qui doit voir sa consommation limitée ? Comment organiser un système économique qui ne pourra peut-être plus s'appuyer sur la consommation dans la même mesure que le système actuel ? Quel doit être le rôle de l'État ? Comment réussir l'équilibre social, probablement inévitable, au niveau national et international ? Autant de questions ouvertes auxquelles il n'existe pas de réponses simples ou toutes faites.

Vers où aller?

Il est toutefois inquiétant de constater qu'aucun débat approfondi n'a eu lieu à ce jour sur ces questions. Une maison individuelle, posséder une voiture, des vacances à l'étranger, sont des objectifs de vie poursuivis dans les pays occidentaux, y compris par des personnes soucieuses de l'environnement. Dans les pays émergents, cette manière de consommer des pays industrialisés fait figure de modèle. Les politiques climatiques actuelles échouent régulièrement à cause de cette contradiction. De fait, elles sont, à bien des égards, fragmentaires. Le développement des transports publics, une loi sur le CO2, la promotion de l'e-mobilité et des énergies renouvelables ; toutes ces mesures sont de bonnes approches. Mais elles ne s’attaquent pas au problème fondamental de la consommation, et parfois même l'encouragent. Dès qu'une éventuelle restriction de la consommation se profile, des termes comme « dictature climatique » ou « culture de l'interdiction » apparaissent rapidement dans le discours politique. Cela ne vaut pas seulement pour la Suisse, mais pour de nombreuses démocraties bien ancrées. Ainsi, des députés allemands ont également mis en garde contre une « dictature de la législation climatique ». Dans tous ces cas, nous ne parlons pas d’une « jeunesse climatique » qui voudrait instaurer un régime totalitaire. Toutes les mesures ainsi critiquées doivent être introduites selon la procédure démocratique prévue. Mais elles illustrent brusquement les changements profonds qu'un mode de vie écologiquement durable entraînera sur la vie de chacun.

La politique climatique et environnementale des prochaines années ne devrait donc pas se contenter d'atteindre l'objectif X ou Y de réduction des émissions. Ces objectifs peuvent être une motivation et, pour les politiciens qui les atteignent, un succès à vendre à leurs électeurs. L'objectif à moyen terme de la politique climatique devrait plutôt être de trouver un consensus avec l'ensemble de la société sur ce que devrait être notre mode de vie à l'avenir. Cette discussion est plus ouverte qu'on ne pourrait le penser. Car si l'humanité survivra certainement au réchauffement climatique, ce que sera cette vie est une toute autre histoire... La seule question est donc de savoir dans quel genre de monde nous voulons vivre et ce que nous sommes prêts à y apporter. Il s’agit d’un débat que nous devrions réellement mener en tant que société, et ne pas nous contenter de soulager notre conscience en achetant des produits « écologiques ».

L'article original est disponible ici.

Références

[1]

Office fédéral de météorologie et de climatologie (Météo Suisse) (2019) : Bulletin climatique, été 2019 (https://www.meteoschweiz.admin.ch/content/dam/meteoswiss/de/service-und-publikationen/Publikationen/doc/2019_JJA_d.pdf, dernière consultation le 05/10/2019).

[2]

Matthew Cappucci, Washington Post (2019): Atlantic hurricane activity has simmered down, but we are not out of the woods (https://www.washingtonpost.com/weather/2019/10/04/atlantic-hurricane-activity-has-simmered-down-we-are-not-out-woods/, dernière consultation le 05/10/2019); Juliette Kayyem, Washington Post (2019): In the Bahamas, you can smell more bodies than you can find (https://www.washingtonpost.com/opinions/in-the-bahamas-you-can-smell-more-bodies-than-you-can-find/2019/10/02/f2d3b7c8-e533-11e9-b403-f738899982d2_story.html, dernière consultation le 03/10/2019).

[3]

Zeit Online (2019) : Abholzung des Amazonas-Regenwalds stark ausgeweitet (https://www.zeit.de/wissen/2019-08/brasilien-regenwald-abholzung-rodung-amazonaswald-weltrauminstitut, dernière consultation le 05/10/2019).

[4]

Office fédéral de l'environnement (OFEV) (2019) : Surface forestière de la Suisse (https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/forets/info-specialistes/etat-et-fonctions-des-forets/surface-forestiere-de-la-suisse.html, dernière consultation le 05/10/2019).

[5]

Office fédéral de l'environnement (OFEV) (2019) : Qualité de l'air en Suisse (https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/air/info-specialistes/qualite-de-l-air-en-suisse.html, dernière consultation le 05/10/2019).

[6]

Office fédéral de l'environnement (OFEV) (2019) : Qualité des cours d'eau (https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/eaux/info-specialistes/etat-des-eaux/etat-des-cours-deau/qualite-des-cours-deau.html, dernière consultation le 05/10/2019).

[7]

Par exemple : Unilever, Lifecycle Assessments (https://www.unilever.com/sustainable-living/reducing-environmental-impact/lifecycle-assessments/, dernière consultation le 05/10/2019).

[8]

Euronews (2019): It's already Earth Overshoot Day: The Facts and the Solutions (https://www.euronews.com/living/2019/07/29/in-just-7-months-we-ve-used-our-natural-resources-for-the-whole-year, dernière consultation le 05/10/2019).

[9]

Petra Pinzler, Zeit online (2019): Wer soll für die Umwelt zahlen? (https://www.zeit.de/2019/15/klimaschutz-kosten-energiewende-steuer-co2-umweltpolitik/komplettansicht, dernière consultation le 05/10/2019).

Auteur·rice·s

Johannes Hahn ist Geförderter der Schweizerischen Studienstiftung und studiert Rechtswissenschaften an der Universität Basel.

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